Le mouvement des Lumières qui prit pied en Espagne (sous la dénomination de Ilustración) adhérait aux mêmes principes que ses équivalents dans le reste de l’Europe. Pour les ilustrados espagnols, la raison était l’outil essentiel permettant d’atteindre à la vérité et au regard de laquelle devaient être soumises à critique toutes les « vérités » (ou croyances admises) héritées de la « tradition », en particulier celles qui s’appuyaient sur les préjugés, sur l’ignorance et sur la superstition, ou encore sur les dogmes religieux. Les seuls instruments auxquels l’on pouvait avoir recours étaient ceux procurés par la philosophie et la science. En mettant en application (par la technique) la connaissance ainsi acquise et en l’étendant (par l’éducation) à la société tout entière, l’homme sera en

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  • Le mouvement des Lumières qui prit pied en Espagne (sous la dénomination de Ilustración) adhérait aux mêmes principes que ses équivalents dans le reste de l’Europe. Pour les ilustrados espagnols, la raison était l’outil essentiel permettant d’atteindre à la vérité et au regard de laquelle devaient être soumises à critique toutes les « vérités » (ou croyances admises) héritées de la « tradition », en particulier celles qui s’appuyaient sur les préjugés, sur l’ignorance et sur la superstition, ou encore sur les dogmes religieux. Les seuls instruments auxquels l’on pouvait avoir recours étaient ceux procurés par la philosophie et la science. En mettant en application (par la technique) la connaissance ainsi acquise et en l’étendant (par l’éducation) à la société tout entière, l’homme sera en mesure de se perfectionner lui-même, de progresser, d’améliorer ses conditions de vie, de se libérer de l’ignorance et de la superstition, et de parvenir ainsi au bonheur, sans attendre de l’obtenir dans l’« autre vie ». Le mouvement des Lumières, qui en Espagne comme ailleurs, constitua toujours une minorité, dynamique et influente certes, resta essentiellement réformiste, n’aspirant pas à modifier substantiellement l’ordre social et politique en vigueur, et n’ambitionnant que de mettre en place des réformes propices à ce que les ilustrados dénommaient le « bonheur public », lequel aurait donc à s’accommoder de l’inégalité juridique et de l’absolutisme. Cet aspect réformiste intéressera les monarchies d’Europe et d’Espagne, disposées à impulser le « progrès », mais sans pour autant mettre en cause l’ordre social et politique établi, les rois se préoccupant plus du renforcement de leur autorité, du perfectionnement de leur appareil administratif et de l’agrandissement de leurs territoires, que du proclamé bonheur de leurs sujets. Aussi les gouvernements se serviront-ils des Lumières pour doter d’une aura de modernité leurs projets de réforme économique, fiscale, administrative et militaire, et justifier ainsi comme nécessaire et inévitable la croissante intervention de l’État dans tous les ordres de la vie sociale. Cependant, les Lumières espagnoles présentaient quelques singularités, qui les différenciaient des mouvements similaires en Europe. Plus qu’ailleurs, les représentants des Lumières étaient de bons chrétiens et de fervents monarchistes qui n’avaient rien de subversif ni de révolutionnaire, et préconisaient des changements pacifiques et graduels touchant toutes les sphères de la vie nationale, afin de remédier aux déficiences du pays et rendre l’Espagne apte à concourir avec les principales puissances européennes. Sans doute le trait le plus spécifique des Lumières en Espagne est-il que tous ses représentants s’étaient maintenus dans le giron du catholicisme, de sorte qu’on a pu parler de Lumières catholiques. Pour beaucoup d’entre eux, la raison et la religion partageaient une même « lumière naturelle », œuvre du Créateur, et ils s’évertueront à rendre les avancées de la science compatibles avec le contenu de la Bible. Toutefois, en s’ingéniant à faire valoir des critères rationnels dans les manifestations religieuses de la piété populaire et en proposant une piété rationnelle destinée à se substituer à la piété baroque, qui prédominait à l’époque et consistait en une religiosité toute extérieure (notamment basée sur le culte des reliques et des images, sur les pèlerinages et les processions, etc.), ce pour quoi ils incriminaient le clergé régulier, les hommes des Lumières s’étaient attiré l’hostilité tant du clergé que du peuple. Au rebours de la position de l’Église, ils préconisaient la lecture de la Bible en langue vulgaire. Les ilustrados espagnols subissaient plus fortement que leurs collègues européens la tutelle de l’État et de l’Église, laquelle tutelle s’exerçait à travers des instruments coercitifs tels que l’Index, le nihil obstat, l’Inquisition, et favorisait l’autocensure. Une autre singularité des Lumières espagnoles est un élitisme marqué, les ilustrados en effet estimant en général que le plus grand nombre ne devait avoir accès qu’à la seule instruction primaire et que les plus hauts niveaux de formation eussent à rester réservés à une élite. Ils prétendaient en outre lutter contre ce qu’ils nommaient les manifestations « pernicieuses » de la culture populaire, telles que corridas, carnavals etc. Une vision erronée veut que l’introduction des Lumières en Espagne fut l’œuvre les Bourbons. En réalité, ceux-ci n’étaient pas moins réticents que les autres monarchies, et les nouveaux courants de pensée européens étaient déjà connus des dénommés Novatores (1680-1720), c’est-à-dire dès avant l’arrivée des Bourbons en Espagne. Du reste, la préoccupation majeure du premier Bourbon n’était pas la rénovation culturelle, mais la politique internationale et militaire, ce qui donc ne pouvait que retarder le déploiement des Lumières en Espagne. Les Novatores, qui étaient en contact avec les bollandistes et les mauristes et dont l’activité forme le prélude aux Lumières espagnoles proprement dites, avaient fait, suivant les principes de la révolution scientifique du XVIIe siècle, le pari d’une explication rationnelle de la réalité et éprouvaient une aversion de la tradition, de l’incurie et de l’immobilisme intellectuel, académique et scientifique, sans jamais prendre le chemin de la révolution. Méritent mention en particulier : Francisco Gutiérrez de los Ríos, qui dans un ouvrage de 1680 condamnait la scolastique, se référait à Descartes, et faisait l’éloge de ceux qui, à l’encontre de la philosophie aristotélicienne, se vouaient à la véritable connaissance de la nature et de ce qui la compose ; et Juan de Cabriada, de qui l’œuvre pionnière Carta Filosófico, Médico-Chymica de 1687, premier manifeste du nouvel esprit novateur, comportait une critique de la méthode scholastique et affirmait l’exigence de l’expérimentation. Une académie destinée à défendre la nouvelle science fut mise sur pied en 1697. Significativement, les attaques dont ils faisaient l’objet ne cesseront pas avec les Bourbons. Il est d’usage de distinguer les Premières Lumières (1720-1750) et les Lumières espagnoles dans leur phase d’épanouissement (Plena Ilustración, 1750-1810). Concernant les Premières Lumières, sont à relever, dans le domaine de la critique historique, les noms de Mayans, trait d’union avec les novateurs, qui défendit le point de vue que l’on ne pouvait connaître la vérité historique qu’en faisant appel aux sources et en les soumettant à un rigoureux examen critique, et de Feijoo, qui se voua à combattre la superstition et à propager les nouveautés scientifiques de toute sorte. En matière de pensée politique et sociale, est à signaler Theórica y Práctica de Comercio y Marina de Jerónimo de Uztáriz (1724, plusieurs fois traduit), étude phare de la pensée mercantiliste espagnole, qui, si on ne peut la voir comme un paradigme de la pensée économique des Lumières (qui oscillait entre la physiocratie française et le libéralisme économique d’Adam Smith), constitue néanmoins une œuvre des Lumières par deux de ses traits : sa démarche scientifique et son objectif de progrès social ; le livre eut une répercussion sur les politiques des derniers gouvernements de Philippe V. En sciences exactes, l’héritage des Novateurs sera encore déterminante dans un premier temps, par quoi notamment les apports de Newton ne seront connus véritablement en Espagne qu’avec l’expédition géodésique parrainée par l’Académie des sciences de Paris à laquelle participèrent les Espagnols Jorge Juan et Antonio de Ulloa, qui à leur retour, publièrent un ouvrage en 1748, où les auteurs défendaient les postulats newtoniens, incluant l’héliocentrisme. Dans la deuxième phase des Lumières espagnoles, les ilustrados parvinrent à constituer quelques foyers épars, plutôt restreints et nullement radicaux, et qui s’énumèrent comme suit : les Asturies (avec Jovellanos et Campomanes) ; la Guipúzcoa basque (où fut fondée la première Sociedad Económica de Amigos del País, ainsi que le Séminaire royal des nobles) ; Valence (avec l’astronome Jorge Juan, adepte du système newtonien, et le botaniste Cavanilles) ; Barcelone (avec son Académie des belles-lettres, son Comité royal particulier de commerce, et son université de Cervera, pépinière d’hommes des Lumières, tels que le juriste Josep Finestres, son disciple Ramon Llàtzer de Dou i de Bassols et Antonio de Capmany, auteur du premier traité d’histoire économique de l’Espagne) ; Séville (où le groupe ilustrado le plus remarquable se constitua autour du cercle de l’Alcazar, qui sera pendant quelque temps le noyau des Lumières le plus important d’Espagne, en dépit qu’il y eût à Séville et dans l’Andalousie de fortes résistances à ce mouvement) ; en Galice (où l’on formulait des thèses fort modérées, à l’exception de , qui eut maille à partir avec l’Inquisition et avec les autorités civiles) ; Saragosse (où la Real Sociedad Económica Aragonesa de Amigos del País était l’une des plus actives d’Espagne, et où fut fondée la première chaire d’Économie civile dont le titulaire était Lorenzo Normante, cible de maintes critiques et d’une dénonciation à l’Inquisition) ; Salamanque (dont l’université était très divisée entre le secteur traditionaliste et le camp favorable aux idées nouvelles, mais cessa ensuite d’être un bastion du traditionalisme) ; et enfin Madrid (l’indéniable centre des Lumières espagnoles, à la faveur d’une conjonction de facteurs présents dans aucune autre ville d’Espagne, à savoir : des institutions d’enseignement d’esprit moderne, une atmosphère cosmopolite, une presse abondante, un mécénat d’aristocrates ilustrados, une Sociedad Económica de Amigos del Pays dont l’activité éclipsait de loin celle des provinces, et la présence de la Cour). Les Sociedad Económica de Amigos del Pays jouèrent un role primordial dans la diffusion des idées des Lumières. La première en date, fondée en 1763 à l’initiative de nobles ilustrados de Guipúzcoa, avait pour particularité d’être ouverte aux membres du tiers-état enrichis par le commerce, lesquels jouissaient au sein de la Société des même droits que les sociétaires issus de la noblesse ou du clergé. En 1764 fut créée la Real Sociedad Bascongada de Amigos del País, prototype des futures sociétés de même nom, dont les buts étaient d’appliquer les nouvelles connaissances scientifiques aux activités économiques. À cet effet fut fondé le Séminaire royal des nobles, afin d’enseigner les matières bannies des universités, comme la physique expérimentale ou la minéralogie. L’initiative se diffusa bientôt en direction de Cadix, de Séville et de Madrid, puis également aux grandes villes d’Amérique espagnole. Significativement, les Sociedades de Amigos del País furent officialisées, et donc mises au pas, à l’instigation du ministre Campomanes, qui en rédigea les statuts, par suite de quoi les Sociedades eurent désormais pour fonction principale d’appuyer les réformes du roi, se trouvaient sous tutelle publique, virent leur composition restreinte à la « noblesse la plus illustre » et aux membres de l’administration et des autorités locales, et virent leur champ d’activités s’amenuiser pour ne plus englober que « la théorie et la pratique de l’économie politique dans toutes les provinces d’Espagne » (en délaissant les sciences pures et les arts). Les Bourbons pourtant faisaient grand cas des sciences, et Charles III en particulier intensifia l’impulsion qui leur avait déjà été donnée sous le règne de Ferdinand VI. Des personnalités scientifiques éminentes travaillaient dans plusieurs institutions académiques espagnoles ; des chaires de chimie furent créées dans différents organismes officiels, tandis que la minéralogie et la métallurgie faisaient l’objet, en fonction surtout des nécessités de l’armée et de la marine, d’une attention spéciale du gouvernement, au même titre que la médecine, les mathématiques, la géographie, la cartographie et l’astronomie. Parmi les figures les plus notables des sciences exactes, citons Jorge Juan (qui se voua à la recherche en astronomie, mathématiques et physique) et Gabriel Císcar (qui rédigea une série de manuels scientifiques de grande diffusion et qui, nommé représentant espagnol auprès de la commission chargée d’établir à Paris le nouveau système métrique décimal, rédigea sur cette matière un ouvrage internationalement salué). En botanique, le système de Linné fut accepté par la plupart des scientifiques espagnols et par tous les jardins botaniques créés à cette époque grâce au directeur du Jardin botanique de Madrid, Cavanilles, qui était en contact avec Buffon. En chimie, la théorie de Lavoisier ayant été rapidement acceptée, on vit surgir bientôt en Espagne plusieurs laboratoires de chimie fondés par les institutions d’État ou créés par les Sociedades Económicas de Amigos del País. La géologie de l’Allemand Abraham Gottlob Werner connut un même accueil. Durant cette période furent réalisées plusieurs expéditions scientifiques qui eurent un grand retentissement dans toute l’Europe, en particulier celle dirigée par Félix de Azara dans le Río de la Plata et sur le Paraguay, et l’expédition Balmis (1803-1806), dont l’objectif était de propager la vaccination contre la variole dans l’Empire espagnol, l’un des jalons de la médecine préventive moderne. (fr)
  • Le mouvement des Lumières qui prit pied en Espagne (sous la dénomination de Ilustración) adhérait aux mêmes principes que ses équivalents dans le reste de l’Europe. Pour les ilustrados espagnols, la raison était l’outil essentiel permettant d’atteindre à la vérité et au regard de laquelle devaient être soumises à critique toutes les « vérités » (ou croyances admises) héritées de la « tradition », en particulier celles qui s’appuyaient sur les préjugés, sur l’ignorance et sur la superstition, ou encore sur les dogmes religieux. Les seuls instruments auxquels l’on pouvait avoir recours étaient ceux procurés par la philosophie et la science. En mettant en application (par la technique) la connaissance ainsi acquise et en l’étendant (par l’éducation) à la société tout entière, l’homme sera en mesure de se perfectionner lui-même, de progresser, d’améliorer ses conditions de vie, de se libérer de l’ignorance et de la superstition, et de parvenir ainsi au bonheur, sans attendre de l’obtenir dans l’« autre vie ». Le mouvement des Lumières, qui en Espagne comme ailleurs, constitua toujours une minorité, dynamique et influente certes, resta essentiellement réformiste, n’aspirant pas à modifier substantiellement l’ordre social et politique en vigueur, et n’ambitionnant que de mettre en place des réformes propices à ce que les ilustrados dénommaient le « bonheur public », lequel aurait donc à s’accommoder de l’inégalité juridique et de l’absolutisme. Cet aspect réformiste intéressera les monarchies d’Europe et d’Espagne, disposées à impulser le « progrès », mais sans pour autant mettre en cause l’ordre social et politique établi, les rois se préoccupant plus du renforcement de leur autorité, du perfectionnement de leur appareil administratif et de l’agrandissement de leurs territoires, que du proclamé bonheur de leurs sujets. Aussi les gouvernements se serviront-ils des Lumières pour doter d’une aura de modernité leurs projets de réforme économique, fiscale, administrative et militaire, et justifier ainsi comme nécessaire et inévitable la croissante intervention de l’État dans tous les ordres de la vie sociale. Cependant, les Lumières espagnoles présentaient quelques singularités, qui les différenciaient des mouvements similaires en Europe. Plus qu’ailleurs, les représentants des Lumières étaient de bons chrétiens et de fervents monarchistes qui n’avaient rien de subversif ni de révolutionnaire, et préconisaient des changements pacifiques et graduels touchant toutes les sphères de la vie nationale, afin de remédier aux déficiences du pays et rendre l’Espagne apte à concourir avec les principales puissances européennes. Sans doute le trait le plus spécifique des Lumières en Espagne est-il que tous ses représentants s’étaient maintenus dans le giron du catholicisme, de sorte qu’on a pu parler de Lumières catholiques. Pour beaucoup d’entre eux, la raison et la religion partageaient une même « lumière naturelle », œuvre du Créateur, et ils s’évertueront à rendre les avancées de la science compatibles avec le contenu de la Bible. Toutefois, en s’ingéniant à faire valoir des critères rationnels dans les manifestations religieuses de la piété populaire et en proposant une piété rationnelle destinée à se substituer à la piété baroque, qui prédominait à l’époque et consistait en une religiosité toute extérieure (notamment basée sur le culte des reliques et des images, sur les pèlerinages et les processions, etc.), ce pour quoi ils incriminaient le clergé régulier, les hommes des Lumières s’étaient attiré l’hostilité tant du clergé que du peuple. Au rebours de la position de l’Église, ils préconisaient la lecture de la Bible en langue vulgaire. Les ilustrados espagnols subissaient plus fortement que leurs collègues européens la tutelle de l’État et de l’Église, laquelle tutelle s’exerçait à travers des instruments coercitifs tels que l’Index, le nihil obstat, l’Inquisition, et favorisait l’autocensure. Une autre singularité des Lumières espagnoles est un élitisme marqué, les ilustrados en effet estimant en général que le plus grand nombre ne devait avoir accès qu’à la seule instruction primaire et que les plus hauts niveaux de formation eussent à rester réservés à une élite. Ils prétendaient en outre lutter contre ce qu’ils nommaient les manifestations « pernicieuses » de la culture populaire, telles que corridas, carnavals etc. Une vision erronée veut que l’introduction des Lumières en Espagne fut l’œuvre les Bourbons. En réalité, ceux-ci n’étaient pas moins réticents que les autres monarchies, et les nouveaux courants de pensée européens étaient déjà connus des dénommés Novatores (1680-1720), c’est-à-dire dès avant l’arrivée des Bourbons en Espagne. Du reste, la préoccupation majeure du premier Bourbon n’était pas la rénovation culturelle, mais la politique internationale et militaire, ce qui donc ne pouvait que retarder le déploiement des Lumières en Espagne. Les Novatores, qui étaient en contact avec les bollandistes et les mauristes et dont l’activité forme le prélude aux Lumières espagnoles proprement dites, avaient fait, suivant les principes de la révolution scientifique du XVIIe siècle, le pari d’une explication rationnelle de la réalité et éprouvaient une aversion de la tradition, de l’incurie et de l’immobilisme intellectuel, académique et scientifique, sans jamais prendre le chemin de la révolution. Méritent mention en particulier : Francisco Gutiérrez de los Ríos, qui dans un ouvrage de 1680 condamnait la scolastique, se référait à Descartes, et faisait l’éloge de ceux qui, à l’encontre de la philosophie aristotélicienne, se vouaient à la véritable connaissance de la nature et de ce qui la compose ; et Juan de Cabriada, de qui l’œuvre pionnière Carta Filosófico, Médico-Chymica de 1687, premier manifeste du nouvel esprit novateur, comportait une critique de la méthode scholastique et affirmait l’exigence de l’expérimentation. Une académie destinée à défendre la nouvelle science fut mise sur pied en 1697. Significativement, les attaques dont ils faisaient l’objet ne cesseront pas avec les Bourbons. Il est d’usage de distinguer les Premières Lumières (1720-1750) et les Lumières espagnoles dans leur phase d’épanouissement (Plena Ilustración, 1750-1810). Concernant les Premières Lumières, sont à relever, dans le domaine de la critique historique, les noms de Mayans, trait d’union avec les novateurs, qui défendit le point de vue que l’on ne pouvait connaître la vérité historique qu’en faisant appel aux sources et en les soumettant à un rigoureux examen critique, et de Feijoo, qui se voua à combattre la superstition et à propager les nouveautés scientifiques de toute sorte. En matière de pensée politique et sociale, est à signaler Theórica y Práctica de Comercio y Marina de Jerónimo de Uztáriz (1724, plusieurs fois traduit), étude phare de la pensée mercantiliste espagnole, qui, si on ne peut la voir comme un paradigme de la pensée économique des Lumières (qui oscillait entre la physiocratie française et le libéralisme économique d’Adam Smith), constitue néanmoins une œuvre des Lumières par deux de ses traits : sa démarche scientifique et son objectif de progrès social ; le livre eut une répercussion sur les politiques des derniers gouvernements de Philippe V. En sciences exactes, l’héritage des Novateurs sera encore déterminante dans un premier temps, par quoi notamment les apports de Newton ne seront connus véritablement en Espagne qu’avec l’expédition géodésique parrainée par l’Académie des sciences de Paris à laquelle participèrent les Espagnols Jorge Juan et Antonio de Ulloa, qui à leur retour, publièrent un ouvrage en 1748, où les auteurs défendaient les postulats newtoniens, incluant l’héliocentrisme. Dans la deuxième phase des Lumières espagnoles, les ilustrados parvinrent à constituer quelques foyers épars, plutôt restreints et nullement radicaux, et qui s’énumèrent comme suit : les Asturies (avec Jovellanos et Campomanes) ; la Guipúzcoa basque (où fut fondée la première Sociedad Económica de Amigos del País, ainsi que le Séminaire royal des nobles) ; Valence (avec l’astronome Jorge Juan, adepte du système newtonien, et le botaniste Cavanilles) ; Barcelone (avec son Académie des belles-lettres, son Comité royal particulier de commerce, et son université de Cervera, pépinière d’hommes des Lumières, tels que le juriste Josep Finestres, son disciple Ramon Llàtzer de Dou i de Bassols et Antonio de Capmany, auteur du premier traité d’histoire économique de l’Espagne) ; Séville (où le groupe ilustrado le plus remarquable se constitua autour du cercle de l’Alcazar, qui sera pendant quelque temps le noyau des Lumières le plus important d’Espagne, en dépit qu’il y eût à Séville et dans l’Andalousie de fortes résistances à ce mouvement) ; en Galice (où l’on formulait des thèses fort modérées, à l’exception de , qui eut maille à partir avec l’Inquisition et avec les autorités civiles) ; Saragosse (où la Real Sociedad Económica Aragonesa de Amigos del País était l’une des plus actives d’Espagne, et où fut fondée la première chaire d’Économie civile dont le titulaire était Lorenzo Normante, cible de maintes critiques et d’une dénonciation à l’Inquisition) ; Salamanque (dont l’université était très divisée entre le secteur traditionaliste et le camp favorable aux idées nouvelles, mais cessa ensuite d’être un bastion du traditionalisme) ; et enfin Madrid (l’indéniable centre des Lumières espagnoles, à la faveur d’une conjonction de facteurs présents dans aucune autre ville d’Espagne, à savoir : des institutions d’enseignement d’esprit moderne, une atmosphère cosmopolite, une presse abondante, un mécénat d’aristocrates ilustrados, une Sociedad Económica de Amigos del Pays dont l’activité éclipsait de loin celle des provinces, et la présence de la Cour). Les Sociedad Económica de Amigos del Pays jouèrent un role primordial dans la diffusion des idées des Lumières. La première en date, fondée en 1763 à l’initiative de nobles ilustrados de Guipúzcoa, avait pour particularité d’être ouverte aux membres du tiers-état enrichis par le commerce, lesquels jouissaient au sein de la Société des même droits que les sociétaires issus de la noblesse ou du clergé. En 1764 fut créée la Real Sociedad Bascongada de Amigos del País, prototype des futures sociétés de même nom, dont les buts étaient d’appliquer les nouvelles connaissances scientifiques aux activités économiques. À cet effet fut fondé le Séminaire royal des nobles, afin d’enseigner les matières bannies des universités, comme la physique expérimentale ou la minéralogie. L’initiative se diffusa bientôt en direction de Cadix, de Séville et de Madrid, puis également aux grandes villes d’Amérique espagnole. Significativement, les Sociedades de Amigos del País furent officialisées, et donc mises au pas, à l’instigation du ministre Campomanes, qui en rédigea les statuts, par suite de quoi les Sociedades eurent désormais pour fonction principale d’appuyer les réformes du roi, se trouvaient sous tutelle publique, virent leur composition restreinte à la « noblesse la plus illustre » et aux membres de l’administration et des autorités locales, et virent leur champ d’activités s’amenuiser pour ne plus englober que « la théorie et la pratique de l’économie politique dans toutes les provinces d’Espagne » (en délaissant les sciences pures et les arts). Les Bourbons pourtant faisaient grand cas des sciences, et Charles III en particulier intensifia l’impulsion qui leur avait déjà été donnée sous le règne de Ferdinand VI. Des personnalités scientifiques éminentes travaillaient dans plusieurs institutions académiques espagnoles ; des chaires de chimie furent créées dans différents organismes officiels, tandis que la minéralogie et la métallurgie faisaient l’objet, en fonction surtout des nécessités de l’armée et de la marine, d’une attention spéciale du gouvernement, au même titre que la médecine, les mathématiques, la géographie, la cartographie et l’astronomie. Parmi les figures les plus notables des sciences exactes, citons Jorge Juan (qui se voua à la recherche en astronomie, mathématiques et physique) et Gabriel Císcar (qui rédigea une série de manuels scientifiques de grande diffusion et qui, nommé représentant espagnol auprès de la commission chargée d’établir à Paris le nouveau système métrique décimal, rédigea sur cette matière un ouvrage internationalement salué). En botanique, le système de Linné fut accepté par la plupart des scientifiques espagnols et par tous les jardins botaniques créés à cette époque grâce au directeur du Jardin botanique de Madrid, Cavanilles, qui était en contact avec Buffon. En chimie, la théorie de Lavoisier ayant été rapidement acceptée, on vit surgir bientôt en Espagne plusieurs laboratoires de chimie fondés par les institutions d’État ou créés par les Sociedades Económicas de Amigos del País. La géologie de l’Allemand Abraham Gottlob Werner connut un même accueil. Durant cette période furent réalisées plusieurs expéditions scientifiques qui eurent un grand retentissement dans toute l’Europe, en particulier celle dirigée par Félix de Azara dans le Río de la Plata et sur le Paraguay, et l’expédition Balmis (1803-1806), dont l’objectif était de propager la vaccination contre la variole dans l’Empire espagnol, l’un des jalons de la médecine préventive moderne. (fr)
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  • La España de los Borbones (fr)
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  • Le mouvement des Lumières qui prit pied en Espagne (sous la dénomination de Ilustración) adhérait aux mêmes principes que ses équivalents dans le reste de l’Europe. Pour les ilustrados espagnols, la raison était l’outil essentiel permettant d’atteindre à la vérité et au regard de laquelle devaient être soumises à critique toutes les « vérités » (ou croyances admises) héritées de la « tradition », en particulier celles qui s’appuyaient sur les préjugés, sur l’ignorance et sur la superstition, ou encore sur les dogmes religieux. Les seuls instruments auxquels l’on pouvait avoir recours étaient ceux procurés par la philosophie et la science. En mettant en application (par la technique) la connaissance ainsi acquise et en l’étendant (par l’éducation) à la société tout entière, l’homme sera en (fr)
  • Le mouvement des Lumières qui prit pied en Espagne (sous la dénomination de Ilustración) adhérait aux mêmes principes que ses équivalents dans le reste de l’Europe. Pour les ilustrados espagnols, la raison était l’outil essentiel permettant d’atteindre à la vérité et au regard de laquelle devaient être soumises à critique toutes les « vérités » (ou croyances admises) héritées de la « tradition », en particulier celles qui s’appuyaient sur les préjugés, sur l’ignorance et sur la superstition, ou encore sur les dogmes religieux. Les seuls instruments auxquels l’on pouvait avoir recours étaient ceux procurés par la philosophie et la science. En mettant en application (par la technique) la connaissance ainsi acquise et en l’étendant (par l’éducation) à la société tout entière, l’homme sera en (fr)
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  • التنوير في إسبانيا (ar)
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