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- « Pour moy, l'on ne me disa rien de tout cecy [les préparatifs du massacre]. Je voyois tout le monde en action ; les huguenots desesperez de cette blessure [référence à l'attentat manqué contre l'amiral de Coligny] ; messieurs de Guise craignans qu'on n'en voulust faire justice, et se suchetans tous à l'oreille. Les huguenots me tenoient suspecte parce que j'estois catholique, et les catholiques parce que j'avois espousé le roy de Navarre, qui estoit huguenot. De sorte que personne ne m'en disoit rien, jusques au soir qu'estant au coucher de la Royne ma mere, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyois fort triste, la Roine ma mere parlant à quelques-uns m'apperceust, et me dist que je m'en allasse coucher. Comme je lui faisois la reverence, ma sœur me prend par le bras et m'arreste, et se prenant fort à pleurer me dit :
« Mon Dieu, ma sœur, n'y allez pas. »
Ce qui m'effraya extremement. La Roine ma mere s'en apperceut, et appellant ma sœur se courrouça fort à elle et luy deffendit de me rien dire. Ma sœur luy dit qu'il n'y avoit point d'apparence de m'envoyer sacrifier comme cela, et que sans doute s'ils descouvroient quelque chose, ils se vengeroient sur moy. La Roine ma mere respond, que s'il plaisoit à Dieu, je n'aurois point de mal ; mais quoy que ce fut, il falloit que j'allasse, de peur de leur faire soupçonner quelque chose qui empeschast l'effet.
Je voyois bien qu'ils se contestoient et n'entendois pas leurs parolles. Elle me commanda encore rudement que je m'en allasse coucher. Ma sœur fondant en larmes me dist bon-soir, sans m'oser dire autre chose ; et moy je m'en allay toute transsie et esperdue, sans me pouvoir imaginer ce que j'avois à craindre. Soudain que je fus en mon cabinet, je me meits à prier Dieu qu'il luy plust me prendre en sa protection, et qu'il me gardast, sans sçavoir de quoy ny de qui. Sur cela le Roy mon mary qui s'estoit mis au lit me manda que je m'en allasse coucher ; ce que je feis, et trouvay mon lit entourné de trente ou quarante huguenots que je ne cognoissois point encore, car il y avoit fort peu de temps que j'estois mariée. Toute la nuict ils ne firent que parler de l'accident qui estoit advenu à monsieur l'admiral, se resolvants, des qu'il seroit jour, de demander justice au Roy de monsieur de Guise, et que si on ne la leur faisoit, il se la feroient eux-mesmes. Moy j'avois toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvois dormir pour l'apprehension en laquelle elle m'avoit mise sans sçavoir de quoy. La nuict se passa de cette façon sans fermer l'œil. Au point du jour, le Roy mon mari dit qu'il vouloit aller jouer à la paume attendant que le roy Charles fust esveillé, se resolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentils-hommes aussy. Moy voyant qu'il estoit jour, estimant que le danger que ma sœur m'avoit dit fust passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu'elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon aise.
Une heure aprez, comme j'estois le plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la port et criant : « Navarre ! Navarre ! » Ma nourrice pensant que ce fust le Roy mon mary, court vistement à la porte. Ce fust un gentil-homme nommé monsieur de Leran, qui avoit un coup d'espée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encores poursuivy de quatre archers, qui entrerent tous aprez luy en ma chambre. Luy se voulant garantir se jetta dessus mon lit. Moy sentant ces hommes qui me tenoient, je me jette à la ruelle, et luy aprez moy, me tenant toujours à travers du corps. Je ne cognoissois point cet homme, et sçavait s'il venoit là pour m'offenser, ou si les archers en vouloient à luy ou à moy. Nous crions tous deux, et estions aussi effrayez l'un que l'autre. En fin Dieu voulust que monsieur de Nançay, capitaine des gardes, y vinst, qui me trouvant en cet estat-là, encore qu'il y eust de la compassion, ne pust tenir de rire ; et se courrouça fort aux archers de cette indiscretion, les fit sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je feis coucher et penser dans mon cabinet jusques à tant qu'il fust du tout guery. Et, changeant de chemise, parce qu'il m'avoit toute couverte de sang, monsieur de Nançay me conta ce qui se passoit, et m'asseura que le Roy mon mari estoit dans la chambre du Roy, et qu'il n'auroit nul mal. Et me faisant jeter un manteau de nuict sur moy, il m'emmena dans la chambre de ma sœur madame de Lorraine, où j'arrivay plus morte que vive, et entrant dans l'antichambre, de laquelle les portes estoient toutes ouvertes, un gentil-homme nommée Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivoient, fust percé d'un coup de hallebarde à trois pas de moy. Je tombai de l'autre costé presque esvanouie entre les bras de monsieur de Nançay, et pensois que ce coup nous eust percez tous deux. Et estant quelque peu remise, j'entray en la petite chambre où couchoit ma sœur. »
Mémoires de Marguerite de Valois
Réagissant aux écrits de Brantôme, Marguerite écrit des Mémoires.
L'épisode où un gentilhomme protestant vient trouver refuge dans la chambre de Marguerite a été repris par Alexandre Dumas dans son roman La Reine Margot. Mais le protagoniste en est La Môle et non Leran. (fr)
- « Monsieur de Sarlan [maître d'hôtel de Catherine de Médicis], puisque la cruauté de mes malheurs et de ceux à qui je ne rendis jamais que services est si grande que, non contents des indignités que depuis tant d'années ils me font pastir, ils veulent poursuivre ma vie jusques à la fin, je desire au moins, avant ma mort, avoir ce contentement que la Royne ma mere sache que j'ay eu assez de courage pour ne tomber vive entre les mains de mes ennemys, vous protestant que je n'en manquerai jamais. Assurez l'en, et les premieres nouvelles qu'elle aura de moy sera ma mort. Soubs son asseurement et commandement je m'estois sauvée chez elle, et au lieu de bon traictement que je m'y promettois, je n'y ay trouvé que honteuse ruine. Patience ! elle m'a mise au monde, elle m'en veut oster. Si sais-je bien que je suis entre les mains de Dieu ; rien ne m'adviendra contre sa vollonté ; j'ay ma fiance en luy et recevrai tout de sa main.
Vostre plus fidele et meilleur amye, Marguerite »
Lettre à Monsieur de Sarlan (fr)
- « Pour parler donc de la beauté de ceste rare princesse, je croy que toutes celles qui sont, qui seront, et jamais ont esté, près de la sienne sont laides, et ne sont point beautez ; car la clarté de la sienne brusle tellement les esles de toutes celles du monde, qu'elles n'osent ni ne peuvent voler, ny comparestre à l'entour de la sienne. Que s'il se treuve quelque mescréant qui, par une foi escarse, ne veuille donner creance aux miracles de Dieu et de nature, qu'il la contemple seulement : son beau visage, si bien formé, en faict la foy ; et diroit on que la mere nature, ouvriere très parfaicte, mist tous ses plus rares sens et subtilz espritz pour la façonner. Car, soit qu'elle veuille monstrer sa douceur ou sa gravité, il sert d'embrazer tout un monde, tant ses traicts sont beaux, ses lineaments tant bien tirez, et ses yeux si transparans et agreables, qu'il ne s'y peut rien trouver à dire : et, qui plus est, ce beau visage est fondé sur un corps de la plus belle, superbe et riche taille qui se puisse veoir, accompaignée d'un port et d'une si grave majestée, qu'on la prendra tousjours pour une deesse du ciel, plus que pour une princesse de la terre ; encore croist on que, par l'advis de plusieurs, jamais deesse ne fut veue plus belle : si bien que, pour publier ses beautez, ses merites et vertus, il faudroit que Dieu allongeast le monde et haussast le ciel plus qu'il n'est, d'autant que l'espace du monde et de l'air n'est assez capable pour le vol de sa perfection et renommée. Davantage, si la grandeur du ciel estoit plus petite le moins du monde, ne faut point doubter qu'elle l'egaleroit. »
[...]
« Bref, je n'aurois jamais faict si je voulois descrire ses parures et ses formes de s'habiller auxquelles elle se monstroit plus belle ; car elle en changeoit de si diverses, que toutes luy estoient bien seantes, belles et propres, si que la nature et l'art faisoient à l'envy à qui la rendroit plus belle. Ce n'est pas tout, car ses beaux accoustrements et belles parures n'osarent jamais entreprendre de couvrir sa belle gorge ny son beau sein, craignant de faire tort à la veue du monde qui se paissoit sur un si bel object ; car jamais n'en fust veue une si belle ny si blanche, si plaine ny si charnue, qu'elle monstroit si à plain et si descouverte, que la plupart des courtisans en mouroient, voire des dames, que j'ay veues, aucunes de ses plus prives, avec sa licence la baiser par un grand ravissement. »
Recueil des dames (fr)
- « Pour moy, l'on ne me disa rien de tout cecy [les préparatifs du massacre]. Je voyois tout le monde en action ; les huguenots desesperez de cette blessure [référence à l'attentat manqué contre l'amiral de Coligny] ; messieurs de Guise craignans qu'on n'en voulust faire justice, et se suchetans tous à l'oreille. Les huguenots me tenoient suspecte parce que j'estois catholique, et les catholiques parce que j'avois espousé le roy de Navarre, qui estoit huguenot. De sorte que personne ne m'en disoit rien, jusques au soir qu'estant au coucher de la Royne ma mere, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyois fort triste, la Roine ma mere parlant à quelques-uns m'apperceust, et me dist que je m'en allasse coucher. Comme je lui faisois la reverence, ma sœur me prend par le bras et m'arreste, et se prenant fort à pleurer me dit :
« Mon Dieu, ma sœur, n'y allez pas. »
Ce qui m'effraya extremement. La Roine ma mere s'en apperceut, et appellant ma sœur se courrouça fort à elle et luy deffendit de me rien dire. Ma sœur luy dit qu'il n'y avoit point d'apparence de m'envoyer sacrifier comme cela, et que sans doute s'ils descouvroient quelque chose, ils se vengeroient sur moy. La Roine ma mere respond, que s'il plaisoit à Dieu, je n'aurois point de mal ; mais quoy que ce fut, il falloit que j'allasse, de peur de leur faire soupçonner quelque chose qui empeschast l'effet.
Je voyois bien qu'ils se contestoient et n'entendois pas leurs parolles. Elle me commanda encore rudement que je m'en allasse coucher. Ma sœur fondant en larmes me dist bon-soir, sans m'oser dire autre chose ; et moy je m'en allay toute transsie et esperdue, sans me pouvoir imaginer ce que j'avois à craindre. Soudain que je fus en mon cabinet, je me meits à prier Dieu qu'il luy plust me prendre en sa protection, et qu'il me gardast, sans sçavoir de quoy ny de qui. Sur cela le Roy mon mary qui s'estoit mis au lit me manda que je m'en allasse coucher ; ce que je feis, et trouvay mon lit entourné de trente ou quarante huguenots que je ne cognoissois point encore, car il y avoit fort peu de temps que j'estois mariée. Toute la nuict ils ne firent que parler de l'accident qui estoit advenu à monsieur l'admiral, se resolvants, des qu'il seroit jour, de demander justice au Roy de monsieur de Guise, et que si on ne la leur faisoit, il se la feroient eux-mesmes. Moy j'avois toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvois dormir pour l'apprehension en laquelle elle m'avoit mise sans sçavoir de quoy. La nuict se passa de cette façon sans fermer l'œil. Au point du jour, le Roy mon mari dit qu'il vouloit aller jouer à la paume attendant que le roy Charles fust esveillé, se resolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentils-hommes aussy. Moy voyant qu'il estoit jour, estimant que le danger que ma sœur m'avoit dit fust passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu'elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon aise.
Une heure aprez, comme j'estois le plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la port et criant : « Navarre ! Navarre ! » Ma nourrice pensant que ce fust le Roy mon mary, court vistement à la porte. Ce fust un gentil-homme nommé monsieur de Leran, qui avoit un coup d'espée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encores poursuivy de quatre archers, qui entrerent tous aprez luy en ma chambre. Luy se voulant garantir se jetta dessus mon lit. Moy sentant ces hommes qui me tenoient, je me jette à la ruelle, et luy aprez moy, me tenant toujours à travers du corps. Je ne cognoissois point cet homme, et sçavait s'il venoit là pour m'offenser, ou si les archers en vouloient à luy ou à moy. Nous crions tous deux, et estions aussi effrayez l'un que l'autre. En fin Dieu voulust que monsieur de Nançay, capitaine des gardes, y vinst, qui me trouvant en cet estat-là, encore qu'il y eust de la compassion, ne pust tenir de rire ; et se courrouça fort aux archers de cette indiscretion, les fit sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je feis coucher et penser dans mon cabinet jusques à tant qu'il fust du tout guery. Et, changeant de chemise, parce qu'il m'avoit toute couverte de sang, monsieur de Nançay me conta ce qui se passoit, et m'asseura que le Roy mon mari estoit dans la chambre du Roy, et qu'il n'auroit nul mal. Et me faisant jeter un manteau de nuict sur moy, il m'emmena dans la chambre de ma sœur madame de Lorraine, où j'arrivay plus morte que vive, et entrant dans l'antichambre, de laquelle les portes estoient toutes ouvertes, un gentil-homme nommée Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivoient, fust percé d'un coup de hallebarde à trois pas de moy. Je tombai de l'autre costé presque esvanouie entre les bras de monsieur de Nançay, et pensois que ce coup nous eust percez tous deux. Et estant quelque peu remise, j'entray en la petite chambre où couchoit ma sœur. »
Mémoires de Marguerite de Valois
Réagissant aux écrits de Brantôme, Marguerite écrit des Mémoires.
L'épisode où un gentilhomme protestant vient trouver refuge dans la chambre de Marguerite a été repris par Alexandre Dumas dans son roman La Reine Margot. Mais le protagoniste en est La Môle et non Leran. (fr)
- « Monsieur de Sarlan [maître d'hôtel de Catherine de Médicis], puisque la cruauté de mes malheurs et de ceux à qui je ne rendis jamais que services est si grande que, non contents des indignités que depuis tant d'années ils me font pastir, ils veulent poursuivre ma vie jusques à la fin, je desire au moins, avant ma mort, avoir ce contentement que la Royne ma mere sache que j'ay eu assez de courage pour ne tomber vive entre les mains de mes ennemys, vous protestant que je n'en manquerai jamais. Assurez l'en, et les premieres nouvelles qu'elle aura de moy sera ma mort. Soubs son asseurement et commandement je m'estois sauvée chez elle, et au lieu de bon traictement que je m'y promettois, je n'y ay trouvé que honteuse ruine. Patience ! elle m'a mise au monde, elle m'en veut oster. Si sais-je bien que je suis entre les mains de Dieu ; rien ne m'adviendra contre sa vollonté ; j'ay ma fiance en luy et recevrai tout de sa main.
Vostre plus fidele et meilleur amye, Marguerite »
Lettre à Monsieur de Sarlan (fr)
- « Pour parler donc de la beauté de ceste rare princesse, je croy que toutes celles qui sont, qui seront, et jamais ont esté, près de la sienne sont laides, et ne sont point beautez ; car la clarté de la sienne brusle tellement les esles de toutes celles du monde, qu'elles n'osent ni ne peuvent voler, ny comparestre à l'entour de la sienne. Que s'il se treuve quelque mescréant qui, par une foi escarse, ne veuille donner creance aux miracles de Dieu et de nature, qu'il la contemple seulement : son beau visage, si bien formé, en faict la foy ; et diroit on que la mere nature, ouvriere très parfaicte, mist tous ses plus rares sens et subtilz espritz pour la façonner. Car, soit qu'elle veuille monstrer sa douceur ou sa gravité, il sert d'embrazer tout un monde, tant ses traicts sont beaux, ses lineaments tant bien tirez, et ses yeux si transparans et agreables, qu'il ne s'y peut rien trouver à dire : et, qui plus est, ce beau visage est fondé sur un corps de la plus belle, superbe et riche taille qui se puisse veoir, accompaignée d'un port et d'une si grave majestée, qu'on la prendra tousjours pour une deesse du ciel, plus que pour une princesse de la terre ; encore croist on que, par l'advis de plusieurs, jamais deesse ne fut veue plus belle : si bien que, pour publier ses beautez, ses merites et vertus, il faudroit que Dieu allongeast le monde et haussast le ciel plus qu'il n'est, d'autant que l'espace du monde et de l'air n'est assez capable pour le vol de sa perfection et renommée. Davantage, si la grandeur du ciel estoit plus petite le moins du monde, ne faut point doubter qu'elle l'egaleroit. »
[...]
« Bref, je n'aurois jamais faict si je voulois descrire ses parures et ses formes de s'habiller auxquelles elle se monstroit plus belle ; car elle en changeoit de si diverses, que toutes luy estoient bien seantes, belles et propres, si que la nature et l'art faisoient à l'envy à qui la rendroit plus belle. Ce n'est pas tout, car ses beaux accoustrements et belles parures n'osarent jamais entreprendre de couvrir sa belle gorge ny son beau sein, craignant de faire tort à la veue du monde qui se paissoit sur un si bel object ; car jamais n'en fust veue une si belle ny si blanche, si plaine ny si charnue, qu'elle monstroit si à plain et si descouverte, que la plupart des courtisans en mouroient, voire des dames, que j'ay veues, aucunes de ses plus prives, avec sa licence la baiser par un grand ravissement. »
Recueil des dames (fr)
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