Aux premiers siècles de notre ère, les médecins et encyclopédistes gréco-romains sont unanimes à penser avec Dioscoride que l’ellébore « purge le bas ventre, entraînant phlegme et bile ... c’est bon pour les épileptiques, les atrabiles, les fous » (MM, IV 162). Cette réputation perdurera pendant plus de deux millénaires en Europe. Bien que l’ellébore soit une plante très toxique qui, sans d’extrêmes précautions, ne peut que détériorer l’état du malade, voire le tuer, les apothicaires continueront à le prescrire jusqu’à l’époque moderne. L’idée de l’efficacité de l’ellébore a cependant perfusé profondément dans la société jusqu’au XVIIe siècle : lorsque la Tortue de Jean de La Fontaine défie à la course le Lièvre, celui-ci, pensant qu’elle a l’esprit dérangé, rétorque : « Ma commère, il vou

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  • Aux premiers siècles de notre ère, les médecins et encyclopédistes gréco-romains sont unanimes à penser avec Dioscoride que l’ellébore « purge le bas ventre, entraînant phlegme et bile ... c’est bon pour les épileptiques, les atrabiles, les fous » (MM, IV 162). Cette réputation perdurera pendant plus de deux millénaires en Europe. Bien que l’ellébore soit une plante très toxique qui, sans d’extrêmes précautions, ne peut que détériorer l’état du malade, voire le tuer, les apothicaires continueront à le prescrire jusqu’à l’époque moderne. L’idée de l’efficacité de l’ellébore a cependant perfusé profondément dans la société jusqu’au XVIIe siècle : lorsque la Tortue de Jean de La Fontaine défie à la course le Lièvre, celui-ci, pensant qu’elle a l’esprit dérangé, rétorque : « Ma commère, il vous faut purger avec quatre grains d’ellébore. » Dans le Corpus hippocratique, l’ellébore est l’évacuant par excellence de la médecine humorale, mais il n’est en aucun cas le meilleur remède pour le traitement de la folie. La manie et la mélancolie sont des maladies humorales comme les autres, et l’excès d’humeur qu’elles manifestent se traite par divers évacuants. Un des moins forts était le petit-lait d’ânesse, le plus puissant était l’ellébore. Nombre de plantes et remèdes de l‘Iliade et l’Odyssée amalgamaient des éléments rationnels et irrationnels. C’était le cas de l’ellébore qui, selon Théophraste, possédait une dimension magique. Aux Ve – IVe siècles av. J.-C., le médecin hippocratique, auteur de la Maladie sacrée, est célèbre pour avoir lancé une polémique virulente contre la médecine magico-religieuse. L’opposition entre le médecin et le devin devint radicale. Mais avec le développement de l’hermétisme et de la pensée occultiste savante lors des premiers siècles de notre ère, la thérapeutique médicale aura de plus en plus de mal à résister à la contamination insidieuse de la magie.En étudiant l’histoire de l’utilisation médicinale de l’ellébore, nous allons essayer de comprendre comment le contexte culturel a pu influencer une juste évaluation de l'efficacité de ce remède. Est-ce parce que le système explicatif créé par les médecins grecs était si habilement construit qu’il échappait à toute critique et à toute réfutation (falsification) ? Pourtant ces médecins hippocrato-galéniques étaient nourris du rationalisme philosophique grec, ils cherchaient des causes naturelles aux maladies en écartant vigoureusement les explications magiques ou religieuses. En outre, ils appuyaient leur pratique sur des observations cliniques méticuleuses.Ou bien est-ce parce que la pensée pharmacologique des hippocratiques était malgré tout contaminée par la pensée magique, tout en restant associée à des systèmes explicatifs rationnels et naturalistes ? Car à défaut d’avoir des méthodes statistiques pour tester l’efficacité des remèdes, les médecins pouvaient laisser croire à une puissance magique de certains remèdes pour renforcer la confiance de leurs patients. (fr)
  • Aux premiers siècles de notre ère, les médecins et encyclopédistes gréco-romains sont unanimes à penser avec Dioscoride que l’ellébore « purge le bas ventre, entraînant phlegme et bile ... c’est bon pour les épileptiques, les atrabiles, les fous » (MM, IV 162). Cette réputation perdurera pendant plus de deux millénaires en Europe. Bien que l’ellébore soit une plante très toxique qui, sans d’extrêmes précautions, ne peut que détériorer l’état du malade, voire le tuer, les apothicaires continueront à le prescrire jusqu’à l’époque moderne. L’idée de l’efficacité de l’ellébore a cependant perfusé profondément dans la société jusqu’au XVIIe siècle : lorsque la Tortue de Jean de La Fontaine défie à la course le Lièvre, celui-ci, pensant qu’elle a l’esprit dérangé, rétorque : « Ma commère, il vous faut purger avec quatre grains d’ellébore. » Dans le Corpus hippocratique, l’ellébore est l’évacuant par excellence de la médecine humorale, mais il n’est en aucun cas le meilleur remède pour le traitement de la folie. La manie et la mélancolie sont des maladies humorales comme les autres, et l’excès d’humeur qu’elles manifestent se traite par divers évacuants. Un des moins forts était le petit-lait d’ânesse, le plus puissant était l’ellébore. Nombre de plantes et remèdes de l‘Iliade et l’Odyssée amalgamaient des éléments rationnels et irrationnels. C’était le cas de l’ellébore qui, selon Théophraste, possédait une dimension magique. Aux Ve – IVe siècles av. J.-C., le médecin hippocratique, auteur de la Maladie sacrée, est célèbre pour avoir lancé une polémique virulente contre la médecine magico-religieuse. L’opposition entre le médecin et le devin devint radicale. Mais avec le développement de l’hermétisme et de la pensée occultiste savante lors des premiers siècles de notre ère, la thérapeutique médicale aura de plus en plus de mal à résister à la contamination insidieuse de la magie.En étudiant l’histoire de l’utilisation médicinale de l’ellébore, nous allons essayer de comprendre comment le contexte culturel a pu influencer une juste évaluation de l'efficacité de ce remède. Est-ce parce que le système explicatif créé par les médecins grecs était si habilement construit qu’il échappait à toute critique et à toute réfutation (falsification) ? Pourtant ces médecins hippocrato-galéniques étaient nourris du rationalisme philosophique grec, ils cherchaient des causes naturelles aux maladies en écartant vigoureusement les explications magiques ou religieuses. En outre, ils appuyaient leur pratique sur des observations cliniques méticuleuses.Ou bien est-ce parce que la pensée pharmacologique des hippocratiques était malgré tout contaminée par la pensée magique, tout en restant associée à des systèmes explicatifs rationnels et naturalistes ? Car à défaut d’avoir des méthodes statistiques pour tester l’efficacité des remèdes, les médecins pouvaient laisser croire à une puissance magique de certains remèdes pour renforcer la confiance de leurs patients. (fr)
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  • Aux premiers siècles de notre ère, les médecins et encyclopédistes gréco-romains sont unanimes à penser avec Dioscoride que l’ellébore « purge le bas ventre, entraînant phlegme et bile ... c’est bon pour les épileptiques, les atrabiles, les fous » (MM, IV 162). Cette réputation perdurera pendant plus de deux millénaires en Europe. Bien que l’ellébore soit une plante très toxique qui, sans d’extrêmes précautions, ne peut que détériorer l’état du malade, voire le tuer, les apothicaires continueront à le prescrire jusqu’à l’époque moderne. L’idée de l’efficacité de l’ellébore a cependant perfusé profondément dans la société jusqu’au XVIIe siècle : lorsque la Tortue de Jean de La Fontaine défie à la course le Lièvre, celui-ci, pensant qu’elle a l’esprit dérangé, rétorque : « Ma commère, il vou (fr)
  • Aux premiers siècles de notre ère, les médecins et encyclopédistes gréco-romains sont unanimes à penser avec Dioscoride que l’ellébore « purge le bas ventre, entraînant phlegme et bile ... c’est bon pour les épileptiques, les atrabiles, les fous » (MM, IV 162). Cette réputation perdurera pendant plus de deux millénaires en Europe. Bien que l’ellébore soit une plante très toxique qui, sans d’extrêmes précautions, ne peut que détériorer l’état du malade, voire le tuer, les apothicaires continueront à le prescrire jusqu’à l’époque moderne. L’idée de l’efficacité de l’ellébore a cependant perfusé profondément dans la société jusqu’au XVIIe siècle : lorsque la Tortue de Jean de La Fontaine défie à la course le Lièvre, celui-ci, pensant qu’elle a l’esprit dérangé, rétorque : « Ma commère, il vou (fr)
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  • Histoire de l'ellébore médicinal durant l'Antiquité gréco-romaine (fr)
  • Histoire de l'ellébore médicinal durant l'Antiquité gréco-romaine (fr)
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